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Le Temps

Le groupe polonais entrevoit enfin la lumière après dix ans d’existence. Coup de fil à son chanteur foufou et attachant.

Il est parfois délicieux de voir des artistes cataloguer euxmêmes leur propre musique. Les Polonais de Trupa Trupa ont mis la barre assez haut avec leur fusion de «post-hardcore, no wave et psychedelia». Pour faire simple et lancer un gros clin d’oeil à la scène de Washington DC du début des années 90, disons qu’ils font du Fugazi en moins énervé, plus naïf, avec une voix qui incite davantage aux rêves aériens qu’à l’insurrection citoyenne. C’est riche et minimaliste, hypnotique sans être lourd. Leur dernier album, Of the Sun, salué par la critique un peu partout dans le monde à la fin de l’année dernière, commence aussi à se faire une place dans les oreilles du grand public, tout comme leur E.P. I’ll Find, sorti pendant le confinement. En cet été sans concert, il est temps d’enfin découvrir leur musique.

Au tout premier rang, Grzegorz Kwiatkowski, le guitariste-chanteur. Un doux dingo, pas de ceux qui font tourner le monde, mais qui le rendent assurément plus amusant. Il montre un enthousiasme assez touchant à assurer sans relâche la promotion de ses oeuvres, en signant ses mails ainsi: «J’espère que vous ne vous sentez pas offensés.» Une prudence de mise après une douzième relance. Il semble perché dans un ailleurs roboratif pour tout le monde.

Il dit: «Je suis probablement hyperactif, oui. J’ai parfois trop d’énergie en moi, et il y a trop de choses que je n’aime pas dans ce monde. Mais je suis d’une nature très joyeuse. Je fais preuve d’un pessimisme vital, je dirais. Ce sont deux choses qu’on ne peut normalement pas associer, mais

moi je le fais.» Il nous raconte l’histoire de ces quatre gars de Gdansk et des environs, qui ont d’abord patiné: «Nos compositions étaient bonnes, dès le début, mais on a longtemps galéré avant de trouver notre son, on ne savait pas comment changer. Lui y est arrivé, et il sait nous dire non quand il ne veut pas nous suivre.» Lui, c’est le producteur Michal Kupicz. «Notre George Martin», rigole un Grzegorz élevé aux Beatles, quand les autres ont navigué dans des territoires bien plus durs – ceux de la scène de Washington précédemment évoquée notamment. D’où ce son assez brut, mais malgré tout très confortable. Jonathan Poneman, le boss du label Sub Pop, qui a sorti leur single Dream About, les définit comme «un orage avec de violentes rafales, des explosions et des pluies torrentielles». Les Trupa ont su garder ce côté do it yourself qui fait beaucoup pour leur esprit de proximité. «On fait les choses de manière organique, d’où nos erreurs et nos accidents de parcours. Quand on prévoit un truc, en général, il n’arrive pas. C’est notre force, mais notre faiblesse aussi. Un groupe, normalement, ça fonctionne avec un leader qui a une vision et les autres qui suivent. Nous, nous avons plusieurs visions, comme unebdémocratie où chacun veut aller dans une direction différente des autres. Ça sonne un peu cliché, mais c’est ce qu’il y a de plus dur à réussir, du coup. Les groupes qui fonctionnent comme ça tiennent un an ou deux en général, pas plus. Nous, ça fait dix ans, et je crois bien qu’il ne peut plus rien nous arriver», dit Grzegorz.

Philippe Chassepot, www.letemps.ch

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