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Le Monde Juif

Un groupe post-punk polonais dénonce populisme, haine et négation de la Shoah.

Grzegorz Kwiatkowski, chanteur et compositeur de Trupa Trupa – marqué par la déportation de sa famille au camp de Stutthof – parle de la vérité au pouvoir à travers une poésie punk.

Le groupe post-punk polonais populaire Trupa Trupa se déchaîne contre le nationalisme polonais croissant, le révisionnisme historique et la négation internationale de la Shoah.

À commencer par le titre « Never Forget » paru en 2017 sur un album ironiquement intitulé « Jolly New Songs » [Nouvelles chansons joyeuses], le groupe fait des références claires à la Shoah : « Nous n’oublions jamais / l’humiliation / nous n’oublions jamais / ces morts du ghetto / ils sonnent comme une chorale de minuit ». Son dernier album, « Of The Sun », emprunte un ton encore plus urgent et plus tranchant que ses prédécesseurs. La chanson « Reminder » (« Ça n’a pas eu lieu / Ça n’a pas eu lieu« ) peut être considérée comme une protestation contre le négationnisme et le révisionnisme historique.

Fondé il y a une décennie, Trupa Trupa chante en anglais et s’est fait connaître à l’échelle internationale en 2015 avec « Headache », son premier album sorti sous un label britannique. Depuis lors, le quatuor basé à Gdańsk a sorti deux autres albums et effectué des tournées en Europe, au Japon et aux États-Unis, ce qui lui a valu un grand nombre de fans et les éloges des critiques musicaux du monde entier.

Il ne s’agit pas d’un groupe punk de type Sex Pistols à trois accords et à la guitare, les instrumentaux de Trupa Trupa sont plutôt des combinaisons nuancées. De même, la majorité des paroles du groupe sont abstraites, et si elles ne sont pas obtuses, alors au moins aussi obscures que son nom : Trupa est le mot polonais pour troupe, mais il est également similaire au mot trup, ou cadavre.

Lors d’une récente conversation téléphonique avec le Times of Israel, le chanteur, guitariste et co-compositeur Grzegorz Kwiatkowski a déclaré : « C’est une question d’atmosphère, ce n’est pas direct. Les personnes qui luttent contre l’antisémitisme et le fléau de l’extrême droite peuvent le lire en ces termes. D’autres personnes peuvent en tirer autre chose », a-t-il expliqué.

« Mais nous observons sans aucun doute le côté sombre de la nature humaine », a indiqué Kwiatkowski.

Les critiques musicales ont remarqué très tôt que Trupa Trupa désirait exprimer sérieusement son opinion par ses chansons.

David Fricke de Rolling Stone a noté, « on peut avoir le sentiment qu’il y a beaucoup de protestation sociale, beaucoup de bruit au nom des questions qui comptent » dans la musique du groupe polonais.

« Des chansons qui ressemblent à des rêves, chargées de spasmes de bruit, de lignes de basse à l’emporte-pièce et de mélodies hypnotiques », c’est ainsi que Greg Kot a décrit la musique psychédélique de Trupa Trupa pour The Chicago Tribune.

Will Hodgkinson du quotidien britannique The Times a comparé Trupa Trupa à « Sonic Youth, Radiohead et le genre de groupes en imperméables que Manchester était si doué à produire au début des années 80 ».

Kwiatkowski est un poète publié dont l’œuvre se réfère directement à la Shoah. Il est le plus éloquent du groupe, qui comprend Tomek Pawluczuk, Wojtek Juchniewicz et Rafal Wojczal, sur les questions culturelles et politiques urgentes qui ont inspiré de nombreuses chansons de Trupa Trupa.

Kwiatkowski et ses acolytes sont de jeunes trentenaires qui contribuent au groupe à la même hauteur, chacun apportant ses compétences et ses talents. Pawluczuk est graphiste, Juchniewicz est artiste et enseignant, et Wojczal est photographe et réalisateur de documentaires. Kwiatkowski et Juchniewicz co-écrivent les paroles, et tout le groupe participe à la composition de la musique.

« Nous ne sommes pas un groupe politique. Je suis la personne qui se concentre sur le génocide, la négation de la Shoah et le populisme et qui en parle ouvertement. Mes amis cherchent moins à être sous les feux de la rampe et sont plus réticents à être exposés », a précisé Kwiatkowski.

Son intérêt personnel dans la lutte contre le négationnisme a commencé dès son enfance, lorsqu’il a observé son grand-père paternel Josef Kwiatkowski pleurer lors de visites au musée du camp de concentration de Stutthof, près de Gdańsk. Ce dernier avait été emprisonné par les nazis lorsqu’il était jeune homme pour avoir défié une interdiction d’étude universitaire.

La grand-tante de Kwiatkowski, Martha, la sœur aînée de Josef, a également été emprisonnée à Stutthof. Son crime a été de refuser un emploi que l’occupant nazi lui avait imposé.

« Martha a été dans le camp pendant la période la plus brutale, entre 1944 et 1945. Après la guerre, mon grand-père a pu continuer sa vie à peu près normalement, mais sa sœur a développé des troubles mentaux », a confié Kwiatkowski.

Le poète-compositeur a été profondément touché par les expériences personnelles de ses proches, ainsi que par les souffrances de sa ville natale, Gdańsk, au cours de l’histoire – notamment parce qu’elle a été la première ville attaquée par l’Allemagne au début de la Seconde Guerre mondiale.

« Comprendre ce qui est arrivé à ma famille a soulevé des questions éthiques pour moi. C’était très formateur. Par conséquent, le phénomène du mal est au centre de ma vie et de ma poésie », a expliqué le chanteur.

Il n’y a pas que les injustices historiques qui l’ont influencé. Il a été indigné et profondément attristé par le meurtre du maire progressiste de Gdańsk, Paweł Adamowicz, en janvier 2019 par un criminel qui venait tout juste d’être libéré de prison. Nombreux sont ceux qui pensent que les discours de haine et les clivages politiques au sein de la société polonaise ont contribué à cet assassinat.

Marié et père d’un petit garçon, il réalise également un film documentaire sur l’acteur, résistant et survivant d’Auschwitz Albin (Alex) Ossowski. Ce dernier, mort en 2018, était originaire de Starogard, une petite ville près de Gdańsk. Kwiatkowski a fait sa connaissance lorsque tous deux ont passé des vacances au bord d’un lac à la campagne. (Ossowski a vécu de nombreuses années à Londres, mais est retourné dans sa Pologne natale après le décès de sa femme en 2011).

« Son frère a été assassiné à Stutthof. Il avait peur du déni de la Shoah et du retour des mouvements populistes, et c’est pourquoi il a accepté de figurer dans mon documentaire », a indiqué le documentariste.

Inspiré par le récit du professeur Otto Dov Kulka, professeur d’histoire juive à l’université hébraïque et survivant d’Auschwitz, dans “Landscapes of the Metropolis of Death” (Paysages de la métropole de la mort), Kwiatkowski s’est rendu dans une zone boisée près de Stutthof pour tourner quelques images. Kulka avait écrit sur les centaines de milliers de chaussures – initialement expédiées à Stutthof depuis Auschwitz et d’autres camps de la mort pour être transformées en articles en cuir pour l’armée allemande – qui avaient été jetées dans la forêt. Le réalisateur a été choqué de constater que la plupart des chaussures étaient encore là, et que le musée Stutthof et les autorités polonaises n’avaient pas l’intention de les récupérer et de les préserver.

« Nous nous battons avec les bureaucrates pour que ces chaussures soient exposées. C’est une histoire tragique qui devrait être rendu visible », a commenté Kwiatkowski.

Le poète-compositeur s’est dit troublé par le nombre de meurtriers de la Seconde Guerre mondiale qui ont été libérés et par le manque d’empathie des gens envers les victimes – juives et non juives – des nazis et de leurs collaborateurs.

« Je pensais que ce fléau appartenait au passé, mais il revient aujourd’hui », a-t-il déploré.

Il abhorre la résurgence en Pologne, ainsi que dans d’autres pays européens – à l’est comme à l’ouest – du populisme et des mouvements de droite. Il n’est pas non plus fan du président américain Donald Trump.

« Les politiciens se servent des gens et de leurs sombres instincts pour gagner les élections. L’esprit du temps actuel est que les gens sont fiers de leurs mauvais penchants », constate-t-il amer.

Mais le musicien ne perd pas espoir. Il a toujours confiance dans la démocratie polonaise et a souligné l’impératif d’exercer son droit de manifester. « Nous ne devons pas avoir peur », a-t-il encouragé.

Il est convaincu que l’éducation et la communication sont également la clé d’un avenir meilleur. Il aimerait que les membres de la gauche et de la droite se parlent civilement et que les deux parties prennent au sérieux les responsabilités qui accompagnent la liberté.

« Je ne blâme pas et n’attaque pas, mais je dirai toujours la vérité et demanderai pourquoi », a-t-il promis.

Renee Ghert-Zand, www.fr.timesofisrael.com

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